Histoire de la Suisse
nom officiel : Confédération suisse , en allemand Schweiz , en italien Svizzera
État de l'Europe alpine, situé entre la France à l'ouest, l'Italie au sud, l'Autriche à l'est et l'Allemagne au nord.
Plus variée que sa forte ossature montagneuse, alpine et jurassienne, ne pourrait le suggérer, la Suisse se situe au carrefour des grandes civilisations européennes. Ce pays fédéral, où les cantons constituent de véritables États, cultive plus de spécificités que n'importe quel autre pays du Vieux Continent. Solidement attachés à leur neutralité, confirmée en 1815, les Suisses, bien que le chômage gagne du terrain, conservent le plus haut niveau de vie d'Europe.
Géographie physique
Peu de pays offrent une telle diversité sur une superficie aussi réduite (41 290 km2). Aux hautes montagnes alpines (60 % du territoire), puis aux montagnes d'altitude moyenne – Préalpes et Jura – s'oppose, sur 30 % du pays, un plateau très humanisé. Chacune de ces régions se caractérise par une multitude de paysages différents, variété qu'explique notamment la multiplicité des facteurs climatiques, eux-mêmes influencés par l'ordonnance du relief. Aux influences atmosphériques s'ajoutent, en se combinant, d'anciennes différenciations humaines inhérentes à l'utilisation du sol.
Relief
On peut distinguer trois régions principales.
Les Alpes
Au sud et à l'est se dressent les Alpes (60 % du territoire). Chaîne de montagnes récente, elles présentent à la fois des paysages englacés (mont Rose, Bernina), des faces rocheuses dénudées (Eiger, Säntis) et de profondes vallées glaciaires (Rhône, Rhin). Reliées par des cols élevés, ces dernières sont accessibles toute l'année grâce à la mise en œuvre de moyens modernes de déneigement.
L'altitude moyenne se tient aux alentours de 1 700 m, plusieurs centaines de sommets dépassent 3 000 mètres. Au sud-ouest, dans le massif du Mont-Rose, la pointe Dufour, point culminant du pays (4 633 m) se dresse non loin de l'extraordinaire pyramide du Cervin, ou Matterhorn (4 478 m). À l'est, les Alpes des Grisons culminent au pic Bernina (4 049 m). Au centre-ouest, le massif de l'Aar (ou Alpes bernoises) possède trois sommets qui excèdent 4 100 m et le plus grand glacier d'Europe (Aletsch). Au nord de ces massifs cristallins, les Préalpes sédimentaires atteignent de moindres altitudes. Toutes ces montagnes ont été sculptées par les glaciers quaternaires (il en subsiste 140) et constituent le principal château d'eau de l'Europe (sources du Rhin, du Rhône, de l'Inn).
Le Jura
À l'ouest du lac Léman jusqu'au nord de Zurich, s'étend le Jura (10 % du territoire). Issu de la surrection alpine, l'arc jurassien est une chaîne calcaire composée de plis serrés; c'est une moyenne montagne qui culmine à 1 679 m au mont Tendre (au nord-est du lac Léman); le mont Dôle, voisin, atteint 1 678 m. Constituant une frontière entre la Suisse et la France, il forme une barrière caractérisée par l'absence de vallées transversales.
Le Plateau suisse
Région vitale de la Confédération suisse, entre les Alpes et le Jura, le Plateau suisse, dit aussi Moyen Pays ou Mittelland (30 % du territoire), doit également sa formation aux Alpes : accumulées sur près de 3 000 mètres d'épaisseur, les couches de sédiments, comme les formations de molasse arrachées aux montagnes en surrection, ont formé une vaste dépression ondulée, érodée par les glaciers, qui y ont laissé de nombreux lacs; ce paysage de collines et de plaines fertiles a été découpé par l'Aar et ses affluents.
Climat
Le climat est lié aux grands domaines qui régissent la circulation atmosphérique de la péninsule européenne: océanique à l'ouest, continental à l'est, subpolaire au nord, méditerranéen au sud. Ces aspects prennent une teinte fort différente à l'approche des Alpes, où les variations locales et régionales deviennent si particulières que l'on peut parler d'un climat spécifique alpin ou périalpin, caractérisé par des vents locaux, un refroidissement altitudinal et des précipitations orographiques. Le fœhn est un vent connu pour ses tempêtes capables d'arracher les toitures des chalets et même des arbres. Même si les caractères océaniques restent en toute saison prépondérants, on peut identifier le pays à une zone semi-continentale. Le Plateau offre un climat modéré, avec des précipitations de 1 000 mm par an, un ensoleillement annuel de 1 700 heures et des températures moyennes annuelles comprises entre 7 °C et 9 °C. À Zurich, les températures moyennes mensuelles varient de 0,6 °C en janvier à 18 °C en juillet. Les précipitations et l'ensoleillement diffèrent suivant la localisation: 590 mm de pluie à Sion (site protégé), 2 570 mm dans les Préalpes, au-dessus de Leysin (influence des vents d'ouest); plus de 2 000 heures d'ensoleillement au Tessin, pour moins de 1 500 dans les Préalpes du Nord, déjà plus humides.
Hydrographie
Château d'eau de l'Europe, la Suisse se partage entre quatre grands bassins fluviaux : du Rhin (68 % du pays), du Rhône, des affluents suisses du Pô et, enfin, de l'Inn, qui rejoint le Danube, tributaire de la mer Noire.
Situé à l'est du massif de l'Aar (ou Alpes bernoises), le massif du Saint-Gothard donne naissance à deux grands fleuves: le Rhône qui coule vers l'ouest sous la forme d'un torrent et se jette dans le lac Léman, d'où il ressort à Genève; le Rhin antérieur, qui coule vers le nord-est et s'unit, dans les Grisons, au Rhin postérieur pour former le Rhin, au régime nivo-glaciaire, qui sépare la Suisse de l'Autriche, puis de l'Allemagne. Le bassin rhénan est drainé par un grand nombre d'affluents (Sarine, Reuss, Limmat, Thur...) dont le plus important est l'Aar (295 km); née dans le massif de l'Aar, elle coule vers le nord, arrose Berne, puis se dirige vers le nord-est pour se jeter dans le Rhin en amont de Bâle.
La Suisse est également un pays de nombreux lacs d'origine glaciaire. Le plus grand, le lac Léman (à 370 m d'altitude, 582 km²), dans le bassin du Rhône, est partagé entre la Suisse (348 km²) et la France; le lac de Constance (540 km²) l'est entre la Suisse, l'Autriche et l'Allemagne. Au Tessin, le lac Majeur (512 km²), ainsi que le lac de Lugano (48 km²), sont partagés entre l'Italie et la Suisse. Les autres lacs importants, sur le Plateau, sont le lac de Neuchâtel (216 km²), à 429 m d'altitude; le lac des Quatre-Cantons (114 km²), à 434 m; le lac de Zurich (88 km²), à 406 m; le lac de Thoune (48 km²); le lac de Bienne (42 km²); le lac de Zoug (38 km²), et le lac de Brienz (30 km²).
Les glaciers, quoique en retrait depuis un siècle et demi, couvrent encore 3 000 km2 et constituent d'importantes réserves d'eau, surtout pour l'été; celui d'Aletsch (Valais) s'allonge sur 27 km, pour une surface de 117 km2.
Faune et flore
Sur le plan de la végétation, le pays se répartit en quatre domaines de superficies à peu près égales: montagnes incultes, pâturages d'altitude, domaines forestiers, terres cultivables. La faible étendue des surfaces utiles explique l'importance accordée dans ce pays à la protection de la nature: ainsi, la forêt est protégée depuis la fin du XIXe siècle; on ne peut actuellement réduire sa surface, chaque défrichement devant être compensé par un reboisement. Les versants mal exposés (ubacs) des vallées alpines et les forêts jurassiennes sont les régions les plus riches en conifères. Au voisinage des lacs, à faible altitude et sur le plateau, les feuillus ont tendance à s'imposer. Les fortes dénivellations aidant, il est aisé d'observer la succession des ceintures végétales, du couvert méditerranéen à la toundra arctique. À l'agriculture de plaine succède la culture de la vigne (souvent en terrasses), la forêt de feuillus, la forêt mixte, les pâturages et la forêt de conifères, la pelouse alpine, et enfin la zone des neiges persistantes. Plantes et fleurs de montagnes sont elles aussi soigneusement protégées.
En raison de l'activité humaine, la faune est peu abondante sur le plateau. C'est surtout en montagne que se rencontrent le chevreuil, le chamois, le renard, la marmotte et divers oiseaux alpins (lagopèdes, aigles). Grâce à la création de réserves naturelles, comme en basse Engadine, le gibier a pu se reconstituer.
Population
La population (7,1 millions d'habitants, Suisses), majoritairement concentrée sur le Plateau suisse, se répartit entre les domaines linguistiques allemand (65,1 %), français (18,1 %), italien (9,9 %) et romanche (1,1 %) [1995]. En raison du grand nombre d'étrangers (19 % de la population totale), 8,9 % des résidents utilisent des langues non nationales. Près d'un million d'étrangers (15 % des habitants, 20 % des actifs) vivent en effet en Suisse; en 1987, un référendum a restreint le droit d'asile.
Au moment du congrès de Vienne (1815), qui fixa les frontières du pays, la population, alors estimée à 2,2 millions d'habitants, était composée d'agriculteurs du Plateau, de montagnards et de citadins de villes déjà puissantes, comme Genève, Zurich et Bâle. C'est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que la Suisse moderne se constitue, avec ses industries, son tourisme lacustre et alpin, et ses services financiers. De 2,9 millions d'habitants en 1888, le pays passe à 3,7 millions en 1910. Après une période économique difficile pendant l'entre-deux-guerres, la croissance reprend en 1945, mais elle demeure faible, et la population vieillit (19,4 % des Suisses ont plus de 60 ans). Dans le même temps, l'image d'une Suisse agricole se transforme en celle d'un pays industriel. En dépit d'une baisse récente de l'emploi dans le secteur secondaire, celui-ci concerne encore 33,1 % [1994] de la population active. Quant au secteur tertiaire, lié à l'industrie, à la distribution et aux services, il prédomine avec 61,4 % des emplois [1994].
La Confédération helvétique est traditionnellement divisée en une Suisse alémanique, une Suisse romande et une Suisse italienne. Avec 26 cantons et demi-cantons souverains, elle a pu préserver une variété linguistique qui trouve son origine dans la multiplicité des ensembles naturels. Les cantons italophones sont le Tessin et une partie des Grisons (où l'on parle aussi le romanche – reconnu comme quatrième langue nationale en 1938 – et l'allemand). Les cantons romands sont ceux de Genève, de Vaud, de Neuchâtel, du Jura; ceux du Valais, de Fribourg et de Berne ont deux langues officielles. Les autres cantons sont unilingues alémaniques.
Un second découpage, économique, partage le pays en fonction de l'organisation urbaine. La population est urbanisée à 60 %, mais très bien équilibrée sur l'ensemble du territoire non alpin, c'est-à-dire la moitié nord. La Suisse, qui ne possède pas de mégalopoles, a cependant développé un réseau urbain bien hiérarchisé: Zurich (351 100 habitants; 840 310 habitants avec son agglomération) devance nettement les quatre autres grandes villes: Genève (172 700 habitants; agglomération: 384 510 habitants), Lausanne (125 620 habitants; agglomération: 257 640 habitants), Bâle (175 560 habitants), et Berne, la capitale fédérale (129 400 habitants; agglomération: 300 000 habitants).
Économie
La structure de l'économie – notamment caractérisée par un haut degré de spécialisation, la présence de grandes multinationales et la réputation du secteur bancaire – complique la question de l'adhésion du pays à l'Union européenne.
Agriculture
Après avoir rassemblé à la fin du XIXe siècle près de 40 % de la population active, le secteur agricole n'en représente plus que 5,5 % [1994]. Malgré un protectionnisme affirmé dans ce domaine, source de complications pour une éventuelle intégration à l'Union européenne et responsable de coûts de la vie élevés, l'agriculture suisse vit une période difficile. Les exploitations sont petites – 38 % seulement ont moins de 5 ha – et le terrain est cher, ce qui amplifie un exode rural déjà soutenu. Malgré ces handicaps, la Suisse, grand pays d'élevage, se place au deuxième rang pour le rendement laitier en Europe, après les Pays-Bas. Les fromages suisses (gruyère, emmenthal, tilsit) sont réputés. Le vignoble, essentiellement le long de l'arc lémanique, au Tessin et en Valais, est connu pour ses vins blancs (cépages chasselas) et rouges (cépages pinot, gamay et merlot). Quant au Plateau, il donne des betteraves à sucre, du blé, des pommes de terre et tous les produits de base dont le pays aurait besoin en cas de crise. L'arboriculture – qui fournit poires, pommes, abricots, cerises et pruneaux – concerne la plupart des cantons situés à faible altitude.
Ressources minérales et énergétiques
La Suisse est pauvre en ressources minérales, les mines des Alpes ayant été progressivement abandonnées. Elle dispose, en revanche, d'un fort potentiel hydraulique, maîtrisé par de puissants barrages (Dixence, Mauvoisin...). Les centrales hydroélectriques, qui fournissent 62 % de l'électricité, sont complétées par un réseau de centrales nucléaires (Beznau, Mühleberg, Gösgen et Leibstadt). Devant l'ampleur prise, au cours de ces dernières années, par l'opposition au nucléaire, l'Assemblée fédérale a renoncé à l'implantation d'une nouvelle centrale à Kaiseraugst.
En 1990, les Suisses ont décidé d'un moratoire de dix ans avant toute nouvelle implantation d'une centrale nucléaire. Le pays doit donc se tourner vers les importations et participer activement aux recherches sur les énergies renouvelables (solaire, géothermie).
Industrie
La Suisse est l'un des pays les plus industrialisés d'Europe. Bon nombre de ses entreprises ont une envergure mondiale, comme Novartis (né de la fusion de Ciba-Geigy et Sandoz) et Hoffmann-La Roche pour la chimie. La réputation des puissantes sociétés agroalimentaires, Nestlé et Jacobs-Suchard en tête, n'est plus à faire; c'est d'ailleurs de l'importance de ces firmes, souvent contestées (Nestlé), qu'est née l'image d'une Suisse dominatrice, imposant ses modes de consommation. Les grandes entreprises de machines et métaux sont elles aussi prospères (Asea-Brown Boveri, Sulzer). Mais la Suisse brille surtout grâce aux noms de ses firmes horlogères traditionnelles comme Tissot, Longines et Rolex, sans oublier les produits nouveaux comme la Swatch, adaptation réussie face à la concurrence japonaise. Si la Suisse ne compte que pour 0,08 % de la population mondiale, elle exporte 1,4 % des produits manufacturés dans le monde et en importe plus de 1,5 %.
Services
La Suisse est un important prestataire de services. C'est d'abord une place financière, rendue particulièrement attractive par son secret bancaire, qui peut cependant être levé pour les besoins de la procédure pénale. Les assurances et les réassurances jouissent également d'une grande réputation (les Suisses détiennent le record du peuple le mieux assuré du monde!). Une grande partie des activités de services se déroule hors des frontières. Grâce au solde positif de la balance des paiements et à la rigueur du contrôle monétaire, le franc suisse est une monnaie solide. Mais cette réputation monétaire ne va pas sans son lot d'inconvénients, à commencer par la cherté des produits et des services. Le tourisme et le commerce en subissent parfois les contrecoups.
Tourisme
Dans le domaine touristique, l'identité suisse repose sur une série d'images de paysages montagnards (Cervin, mont Rose) et urbains. Initié dès le XIXe siècle, le tourisme est à l'origine de la formation de plus de 6 % du PIB, et sa filière dépasse 30 % de l'emploi total dans certains cantons (Valais, Grisons). L'hôtellerie suisse, confortée par ses écoles hôtelières (Lausanne, Glion), a acquis une réputation internationale. Le tourisme lacustre des rivières lémaniques et tessinoises a été progressivement complété par les séjours urbains (Genève, Berne, Lucerne) puis par un tourisme montagnard. Les stations de Saint-Moritz, Davos (Grisons), Gstaad et Grindelwald (Berne), Crans-Montana, Zermatt, Saas Fee (Valais) comptent parmi les plus réputées du monde. Lieux de détente, de colloques internationaux, de pratiques sportives, ces centres renouvellent en permanence leur image pour conserver leur attrait.
Transports et communications
Au centre de l'Europe, la Suisse, malgré ses montagnes, a toujours joué un rôle de plaque de communications. Ses réseaux routier et ferré sont très denses. Les transports en commun, chemins de fer fédéraux et locaux, sont réputés pour leur ponctualité et leur très bonne couverture du territoire. En vue de l'intégration européenne, la Suisse, qui cherche des solutions d'avenir pour les transports – en particulier pour le ferroutage des poids lourds –, a proposé en 1990 la percée de nouveaux tunnels ferroviaires sous les massifs de l'Aar-Gothard, du Lötschberg et du Simplon. Les Suisses, soucieux de leurs paysages et de leur cadre de vie, souhaitent limiter le transit routier, source de pollution. Si elle dispose d'un parc de plus de 3,1 millions de voitures et de 287 000 véhicules utilitaires – l'un des plus denses d'Europe –, la Suisse maintient des services de chemins de fer de qualité. L'amélioration des transports urbains – en particulier ceux des réseaux intégrés, comme à Zurich (tramways, bus, trains) – est l'une des priorités des politiques cantonales, communales et fédérales.
Histoire
Le peuplement de la région est attesté dès le paléolithique supérieur. Des outils de pierre ont été découverts dans des grottes, non loin de Neuchâtel. Au néolithique se développa une civilisation de villages lacustres sur pilotis au bord des lacs du plateau. Dès l'âge du bronze et du fer, la Suisse s'affirma comme un lieu de passage et de refuge, ce dont témoignent nombre de sentiers. La pénétration des Celtes, vers le Ve siècle avant J.-C., coïncida avec le début du second âge du fer : à l'extrémité orientale du lac de Neuchâtel le gisement de La Tène (exploré à partir de 1858) a donné son nom à une des plus importantes civilisations protohistoriques. À l'époque de César, des tribus celtes, les Helvètes, qui, venues d'Allemagne du Sud, occupaient l'ouest de la Suisse actuelle, cherchèrent à s'établir dans le sud de la Gaule (en 58 av. J.-C.) mais César les refoula. Les Romains, en effet, avaient bien vu la position stratégique de la Suisse, et ils en firent un poste avancé de leur frontière (limes); l'Helvétie, très vite romanisée, fut rattachée à la Gaule Belgique (dont le lac Léman marque l'extrême sud) puis à la Germanie; un centre comme Avenches (Aventicum) devint une véritable ville de garnison. Un réseau routier fut créé pour franchir les montagnes et desservir le plateau, organisé en «pays».
Les grandes invasions barbares du Ve siècle (Alamans, Burgondes) expliquent le grand découpage linguistique de la Suisse actuelle: Suisse alémanique (germanophone) dans le Nord; Suisse romande (francophone) sur la frange ouest et sud-ouest. Christianisée au VIIe siècle par des missionnaires irlandais (saint Gall, notamment), englobée dans le royaume de Bourgogne puis rattachée en 1032 au Saint Empire romain germanique, l'Helvétie vit apparaître, à partir du XIe siècle, de puissantes principautés (celles des Zähringen, puis des Habsbourgs, notamment), ainsi que des communautés urbaines et paysannes qui luttèrent pour leur autonomie.
Vers la naissance de la Confédération
La formation du pays résulte d'un long processus, fait d'ajustements et de réajustements. L'idée première, en 1291 – date de la fondation du pays par l'alliance entre trois cantons montagnards (Uri, Schwyz et Unterwald) –, était de se regrouper, malgré les différences, pour faire face aux agressions extérieures. Cette territorialité de défense, encore visible de nos jours dans les installations qui coupent les vallées et protègent les points stratégiques, a favorisé le respect et la protection des groupes minoritaires. La Suisse est en quelque sorte un défi: cette nation ne représente pas le résultat d'une communauté d'esprit, mais d'un processus associatif qui pousse des cantons, jaloux de leur indépendance, à se grouper face à l'expansionnisme des Habsbourgs.
Au XIIe siècle, en effet, les Habsbourgs (propriétaires du château de Habichtsburg, en Argovie, dans le nord de la Suisse actuelle) étendirent leur domination sur la Suisse et sur l'Alsace. En 1278, ils acquirent l'Autriche. Face à la puissance de cette maison d'Autriche (qui domina la région jusqu'en 1918), les trois petites communautés (Waldstätten) de Schwyz, d'Uri et d'Unterwald se lièrent, le 1er août 1291, par un pacte de défense mutuelle au cas où l'un des signataires viendrait à être menacé : ce serment, prêté dans une prairie du canton d'Uri (le Grütli) située sur la rive nord-est du lac des Quatre-Cantons, fut à l'origine du noyau de la Confédération. C'est à cette époque que se situe l'épisode légendaire dont Guillaume Tell est le héros. En 1315, l'armée impériale des Habsbourgs voulant châtier les Waldstätten signataires du pacte, s'aventura dans le canton de Schwyz; les rebelles lui infligèrent une écrasante défaite dans le chaînon montagneux de Morgarten; ils renouvelèrent leur pacte la même année, à Brunnen. Les armées confédérées, qui venaient de se forger ainsi une solide réputation, commencèrent à se désigner du nom, valorisé, de Schwyz, et d'autres cantons exprimèrent bientôt le désir d'adhérer à cette alliance : Lucerne en 1332, Zurich en 1351, Glaris et Zoug en 1352, Berne en 1353. Les Confédérés infligèrent une nouvelle défaite à l'Autriche (bataille de Sempach, dans le canton de Lucerne, 1386), qui reconnut l'indépendance des Huit-Cantons (1389). Ceux-ci, forts de leur grande réputation militaire, conquirent sur les Habsbourgs l'Argovie (1415) et la Thurgovie (1460). Entre-temps, ils s'allièrent au Valais, à Neuchâtel, etc., et imposèrent leur domination à d'autres territoires. La France, après avoir apporté son aide à l'empereur Frédéric III en mettant à sa disposition l'armée des «Écorcheurs» commandés par le dauphin Louis (1443), les aida contre le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, qui fut vaincu en 1476 à Grandson et à Morat. Toutefois, de graves dissensions surgirent entre cantons montagnards, régis par un système démocratique, et cantons citadins, gouvernés par une oligarchie. Ces dissensions ayant été surmontées à la diète de Stans, en 1481, la confédération des huit cantons put s'élargir à treize avec l'entrée de Fribourg et de Soleure en 1481, puis, après que l'Autriche, défaite une nouvelle fois à Dornach, eut reconnu officiellement l'indépendance de la Confédération (traité de Bâle, 1499), par celle de Bâle et de Schaffhouse en 1501 et de l'Appenzell en 1513. La Confédération conquit alors le Tessin, Berne, le pays de Vaud, et s'allia aux ligues grisonnes et à la République du Haut-Valais. En 1513, l'armée suisse, entrée au service du duc de Milan, fut victorieuse de la France à Novare (Piémont, à l'ouest de Milan); sa défaite à Marignan, deux ans plus tard, si elle mit fin à cette phase historique, ne fut pas catastrophique pour la Suisse : en 1516 une paix perpétuelle, signée à Fribourg, lia le pays à la France jusqu'en 1815; en contrepartie, la France pouvait lever 6 000 mercenaires en Suisse. Au début du XVIe siècle, l'introduction de la Réforme dans les cantons du Nord entraîna plusieurs crises. Zwingli, un prêtre de Glaris (1506-1516), propagea la Réforme à Zurich (1519-1525) puis dans plusieurs autres villes. Les cinq cantons originels, demeurés catholiques, formèrent une ligue. Deux batailles indécises se déroulèrent à Kappel (1529 et 1531): en 1531, après la mort de Zwingli au combat, un compromis s'instaura (paix de Kappel, 23 octobre 1531). En 1536, le Français Calvin s'installa à Genève, après Bâle (1534), mais il dut s'exiler à Strasbourg. À son retour, en 1541, il institua et dirigea avec sévérité un gouvernement théocratique. Le calvinisme gagna d'autres cantons (ainsi que la France). Fribourg et Lucerne devinrent les hauts lieux de la Contre-Réforme. Cependant, les Suisses réussirent à préserver leur unité et leur neutralité au cours des guerres de Religion. En 1648, les traités de Westphalie reconnurent leur indépendance de droit vis-à-vis de l'Empire.
Les temps modernes
Jusqu'à la Révolution française (1789), une bourgeoisie oligarchique développa l'économie du pays, où les classes laborieuses s'appauvrirent. Le pays connut un extraordinaire essor intellectuel mais, formé d'une association d'entités politiques différentes – comprenant, comme aux XVe et XVIe siècles, treize cantons, des alliés et des États dépendants – inégales en droit, était devenu ingouvernable. Envahi par la France en 1798, il fut transformé en une République helvétique et reçut une Constitution unitaire. Mais, en transformant les pays alliés en cantons, l'Acte de médiation (1803), inspiré par Napoléon, jeta les bases d'une nouvelle Constitution. Saint-Gall, les Grisons, Argovie, Thurgovie, le Tessin et Vaud rejoignirent la Confédération, à égalité avec les autres cantons. La diète fédérale se vit confier des pouvoirs accrus, vite contestés par les anciens cantons, qui profitèrent de la chute de l'Empire (1815) pour rédiger un pacte refaisant de la Suisse une Confédération d'États souverains, dans laquelle entrèrent le Valais, Neuchâtel et Genève. La Confédération helvétique comptait désormais 22 cantons. Son indépendance et sa neutralité perpétuelle furent reconnues par les grandes puissances.
Le rétablissement des anciennes institutions et le renforcement de la classe moyenne, dû à l'essor industriel du pays, provoquèrent la montée de mouvements libéraux en lutte violente contre les tenants du conservatisme, réunis dans le Sonderbund (1845); l'armée fédérale, commandée par le général Dufour, vainquit les cantons catholiques conservateurs séparatistes (1847) et la Confédération fut aussitôt rétablie. Mais cette nouvelle guerre avait montré la nécessité d'élaborer une Constitution fédérale unificatrice. Adoptée en 1848, une nouvelle Constitution, à l'instar de celle des États-Unis, établit un compromis entre la centralisation et le fédéralisme; elle transforma la Confédération en une fédération de 22 cantons, qui mettent en commun une partie de leur souveraineté. La défense, les finances, les affaires extérieures, les postes et les chemins de fer sont autant de domaines dont la gestion est rendue commune. Bien que promue au rang de fédération, la Suisse conserve son appellation de Confédération helvétique.
La Suisse depuis 1848
La Constitution de 1848, tout en maintenant les institutions traditionnelles et en garantissant l'indépendance locale, permit le choix d'une capitale, Berne, où furent installées les institutions fédérales. Cette ville bénéficia de sa situation géographique centrale au sein du canton le plus peuplé à l'époque. La Suisse connut un progrès économique considérable après 1850, développant une industrie de haut niveau; le percement des tunnels du Saint-Gothard (1882) et du Simplon (1906 et 1922) en a fait l'un des carrefours de l'Europe. Grâce au référendum populaire (instauré en 1874) et à leur participation à la défense collective, tous les Suisses se sentirent rapidement concernés par les affaires fédérales; selon de nombreux auteurs, l'armée est devenue le principal instrument de l'«helvétisation» du pays. Il fallut pourtant plus d'un siècle pour que la démocratie directe soit partagée par les femmes, auxquelles deux demi-cantons refusent encore aujourd'hui le droit de vote aux échelons fédéral et communal. Le nombre de votations fédérales (référendums), longtemps limité (100 de 1900 à 1950), augmente. Entre 1950 et 1988, 200 référendums fédéraux ont été organisés, avec cependant des taux de participation parfois inférieurs à 30 %; la chute est semblable pour les référendums cantonaux, sauf dans certains cas, par exemple lorsqu'en 1978, dans le canton de Berne, les régions francophones manifestèrent leur désir d'autonomie et formèrent un 23e canton, la « république du Jura ».
L'une des principales conséquences de la diversité du pays est sa neutralité, chaque canton ayant longtemps pu s'allier avec qui bon lui semblait. Depuis 1815, la neutralité est devenue un principe, évitant aux Suisses d'avoir à choisir, par exemple, entre Allemands et Français pendant les deux guerres mondiales. Dans le même temps, la Suisse devenait un pays propice à l'accueil d'organisations internationales. La Société des Nations, puis l'Organisation des Nations unies s'installèrent en partie à Genève, où se trouvent également les sièges de la Croix-Rouge internationale, de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et du Bureau international du travail (BIT).
Cependant, la Confédération ne fait pas partie de l'ONU, la population suisse ayant refusé l'adhésion par référendum (mars 1986). Souhaitant toutefois resserrer ses liens avec ses partenaires européens, elle est devenue membre de l'Association européenne de libre-échange (AELE), mais en 1992, elle a refusé, par référendum, d'adhérer à l'Espace économique européen (EEE), et en juin 1994, d'entrer dans l'Union européenne.
Le 1er janvier 1999, la socialiste Ruth Dreifuss est devenue la première femme à accéder à la présidence de la Confédération helvétique. L'année a également été marquée par la signature à Luxembourg, le 21 juin, de sept accords économiques avec l'Union européenne. Couvrant des secteurs aussi variés que celui des transports aériens, des marchés publics, de l'agriculture, des transports terrestres ou de la libre circulation des personnes, ces accords ont permis d'harmoniser les relations entre les deux partenaires, en attendant une adhésion officielle de la Suisse à l'UEM. Enfin, les élections législatives organisées en octobre ont vu la victoire de l'Union démocratique du centre (UDC), formation de la droite nationaliste et populiste, qui est ainsi devenue le premier parti politique du pays et le deuxième groupe au Conseil national (chambre basse). Emmenée par l'homme d'affaires zurichois Christoph Blocher, opposant farouche à toute intégration européenne et champion des valeurs traditionnelles suisses, l'UDC a en effet obtenu 23, 31 % des suffrages, devant les socialistes (22,64 %), les radicaux (19,6 %) et les démocrates-chrétiens (15,33 %). Au début de l'an 2000, Adolf Ogi a succédé à Ruth Dreifuss à la présidence de la Confédération helvétique. En mai, les citoyens suisses se sont prononcés, à une large majorité (67,2 %), en faveur d'une série d'accords bilatéraux avec l'Europe des Quinze, exprimant ainsi leur désir d'un rapprochement économique avec l'Union européenne. Les résultats de ce scrutin ont ainsi relancé le débat entre les partisans d'une adhésion rapide à l'UE et ceux favorables au maintien du statu quo actuel.
État et institutions
En s'alliant pour sauvegarder leurs droits, les populations d'Uri, de Schwyz et d'Unterwald ont créé la Confédération helvétique. Pourtant, on ne peut parler de politique commune avant 1848, date à laquelle est adoptée une véritable Constitution fédérale.
L'État fédéral suisse se compose de 26 cantons et demi-cantons souverains, dotés chacun d'une Constitution et de lois. Ils délèguent à la Confédération toute une série de compétences: sécurité, diplomatie, monnaie, affaires militaires, douane, postes, télégraphe, téléphone, économie forestière, énergie hydraulique, contrôle du trafic routier et ferroviaire.
La Confédération est, en outre, amenée à prendre des dispositions favorisant le développement économique (politique agricole) et le bien-être de la population (mesures sociales).
L'Assemblée fédérale, divisée en deux Chambres (le Conseil national et le Conseil des États), le Conseil fédéral (gouvernement de sept membres) et le tribunal fédéral exercent les responsabilités ayant trait à la Confédération. Le bicamérisme permet à la fois une délégation populaire – les députés étant élus en fonction de la répartition de la population – et une représentation égalitaire des cantons, même si ceux-ci sont peu peuplés. Les lois et les arrêtés nécessitent l'accord des deux Conseils. Le Conseil fédéral, cabinet collégial, est devenu l'animateur principal de la vie politique suisse.
Le système cantonal repose sur une organisation semblable. Les cantons – terme utilisé depuis la Révolution française – sont des États souverains, d'où leur appellation de «république et canton». Chacun possède un organe législatif (Grand Conseil), élu par le peuple selon diverses modalités, et un Conseil d'État, exécutif, élu également par le peuple. Les cantons ont autorité en matière de justice, d'état civil, d'enseignement, de police, de fiscalité et dans le domaine de la circulation. Les lois sont en général de la compétence des Grands Conseils, sauf dans trois cantons – Appenzell, Glaris, Unterwald – qui pratiquent encore la démocratie directe: l'assemblée populaire, réunie sur la place publique, vote à main levée et exerce le pouvoir législatif.
Bien que les cantons surveillent la gestion des autorités communales, l'autonomie des communes a statut de dogme. La commune est un territoire local, véritable État dans le canton. Son conseil, pouvoir exécutif, est habilité à lever l'impôt affecté au fonctionnement d'un grand nombre de services publics, de l'instruction primaire à la police locale.
Reflet des trois niveaux politiques – gouvernement fédéral, cantons, communes –, l'administration se caractérise par la complexité de son organisation. Ainsi, même si l'on tient compte dans les forces militaires des appartenances linguistiques, l'armée est-elle du ressort fédéral. L'enseignement se partage entre le primaire (à la charge des communes), le secondaire et l'université (à la charge des cantons); les écoles polytechniques fédérales sont placées sous la responsabilité de la Confédération. Quant à la police, elle relève essentiellement des autorités communales et cantonales; elle peut être appuyée par les forces armées.
Culture et civilisation
Du fait de sa variété linguistique et de la diversité de ses héritages culturels, la Suisse se présente un peu comme une mosaïque. Ce sont d'ailleurs les communes et les cantons qui apportent l'essentiel des aides financières allouées à la culture, la Confédération jouant seulement un rôle dans des domaines comme le cinéma et la protection de la nature. Une fondation autonome, Pro Helvetia, créée en 1939, s'est donné pour objectif de contribuer au rayonnement culturel de la Suisse avec l'appui de la Confédération. Tandis qu'un inventaire de toutes les richesses culturelles a été récemment dressé, le musée de l'Habitat rural de Ballenberg, où sont reconstruites des fermes traditionnelles, démontées dans leur canton d'origine, témoigne de la volonté de reconnaître les héritages culturels et de s'y identifier. Des sociétés comme la Ligue suisse de sauvegarde du patrimoine national ou la Société suisse des traditions populaires contribuent à préserver les coutumes. La Suisse constitue un haut lieu d'expression des coutumes populaires où se remarquent les contes des montagnes (Valais, Lötschental), les carnavals (Bâle, Lucerne...), les fêtes d'alpage (combats de reines dans le Valais, fêtes de la «mi-été»...), les fêtes des vendanges (Vaud, Neuchâtel) et les marchés-concours (chevaux dans le Jura).
Langues
Un des principes fondamentaux de la Suisse, précisé par la Constitution, est l'égalité des langues nationales. Si 22 cantons sont unilingues, dans ceux de Berne, de Fribourg et du Valais on parle et le français et l'allemand, dans celui des Grisons à la fois l'allemand, l'italien et le rhéto-roman. De nombreux Suisses sont d'ailleurs bilingues ou trilingues.
Le plurilinguisme constitue un trait majeur qui trouve son origine dans le principe de territorialité linguistique; cela explique le maintien d'une langue alémanique commune (Schwyzerdütsch) et de variantes du romanche. Malgré une baisse relative des populations romande, tessinoise et grisonne par rapport aux alémaniques, on ne peut parler de véritable menace linguistique. La récente révision de l'article constitutionnel fédéral sur les langues en faveur d'une meilleure reconnaissance du quadrilinguisme, approuvée très largement lors de la votation populaire de 1996, va même en direction d'une sauvegarde et d'une promotion des langues minoritaires (italien, romanche). Si les migrations liées à la retraite et au tourisme entraînent un usage plus fréquent de l'allemand dans les Grisons et au Tessin, le statut des langues officielles n'est pas contesté, même si on constate un emploi de plus en plus fréquent de l'anglais dans les affaires et la science. Au Conseil fédéral, exécutif ministériel, deux à trois sièges sur sept sont réservés aux non-alémaniques. C'est donc surtout dans la fonction publique et les entreprises privées que se fait sentir la puissance du groupe de langue allemande.
Littérature
Avec ses trois cultures principales, la littérature suisse déborde largement le cadre du pays.
Littérature de langue allemande
La première œuvre véritable en langue allemande est l'Anneau (vers 1400) de Heinrich von Wittenwiller. Au XVIe siècle, Zwingli traduit la Bible, le peintre Niklaus Manuel Deutsch écrit des drames. Au XVIIIe siècle, Albrecht von Haller et Conrad Gesner sont les auteurs d'ouvrages scientifiques réputés. Au XIXe siècle, le roman est illustré par le Bernois Jeremias Gotthelf (1797-1854), qui décrit la vie dans l'Emmenthal, et par les Zurichois Gottfried Keller (Henri le Vert, 1854-1855) et Conrad Ferdinand Meyer. Le XXe siècle est dominé par Robert Walser, à la renommée universelle, et par deux éminents dramaturges: Max Frisch et Friedrich Dürrenmatt, qui, à travers leurs romans et leur œuvre dramatique, se sont fait connaître dans le monde à une époque de relatif vide culturel en Allemagne, et dont l'œuvre ne fut d'ailleurs pas sans influencer l'art théâtral allemand.
Littérature romande
Après le poète Othon de Grandson (1336-1397), François de Bonivard fut le premier véritable écrivain francophone, au XVIe siècle, qui est le siècle des réformateurs (Calvin, etc.), venus de France, où Viret achève sa vie. Du XVIIe au XIXe siècle, la plupart des publications relèvent des sciences exactes et humaines, du droit, etc. Descendant de calvinistes venus de France, Jean-Jacques Rousseau se rend de bonne heure dans ce pays, où il fait sa carrière. Benjamin Constant écrit dans sa patrie, la Suisse, son chef-d'œuvre Adolphe (vers 1806) mais le publie en France (1816), dont il adoptera la nationalité. Aux albums comiques de Töpffer s'oppose le journal tragique qu'Amiel tient de 1839 à sa mort (1881). Les romanciers suisses sont peu nombreux; les plus célèbres sont Victor Charbuliez (1829-1899) et Édouard Rod (1857-1910), qui étudie les crises de conscience. Au XXe siècle, Charles-Ferdinand Ramuz, romancier des montagnes (la Grande Peur dans la montagne, 1926), donne au monde vaudois un rayonnement universel. La gloire de Charles-Albert Cingria est posthume. Blaise Cendrars, naturalisé français, fait sa carrière en France. En 1938, Denis de Rougemont publie l'Amour et l'Occident. De nos jours, les deux écrivains les plus célèbres sont Robert Pinget, à qui on doit plusieurs chefs-d'œuvre du « nouveau roman » (l'Inquisitoire, 1962), et l'essayiste Jean Starobinski; citons aussi le poète Maurice Chappaz. Après Monique Saint-Hélier, la littérature suisse francophone du XXe siècle a également deux grandes représentantes : Alice Rivaz (née en 1901) et Corinna Bille (1912-1929), épouse de Chappaz.
Littérature de langue italienne
La littérature du Tessin s'est affirmée tardivement: dans la première moitié du XXe siècle, grâce à Francesco Chiesa (1871-1973), romancier et poète qui a aujourd'hui de nombreux émules, en particulier Piero Bianconi avec Albero genealogico (1969).
Architecture
Plusieurs édifices romans de grandes dimensions ont été érigés en Suisse alémanique (Grossmünster de Zurich, XIIe-XIIIe siècles; cathédrale de Bâle, XIe siècle; église de Tous-les-Saints à Schaffhouse, XIIe siècle), en Valais (église Saint-Pierre de Clages), dans le canton de Vaud (église Saint-Sulpice), ou en Suisse italienne (église de Giornico).
Introduit en Suisse vers 1230 environ, l'art gothique révèle, d'un côté, l'influence des bâtisseurs allemands venus de la région Souabe-Rhénanie (cathédrales de Fribourg et de Berne), de l'autre celle du style bourguignon qui prédomine, par exemple, dans l'architecture de Notre-Dame de Lausanne (v. 1170-1255).
À Genève, l'ancienne église épiscopale de Saint-Pierre (aujourd'hui cathédrale Saint-Pierre) conserve une nef et des bas-côtés de style gothique bourguignon construits à la fin du XIIe et au XIIIe siècles.
Au début du XVIe siècle, l'admirable monastère bénédictin de Saint-Georges à Stein am Rhein, bâti entre 1390 et 1444, reçut l'une des plus riches décorations Renaissance qui se puisse voir. Mais, malgré les idées de rénovation qui sous-tendent l'humanisme et la Réforme, l'architecture de la Renaissance s'impose très timidement en Suisse, car la plupart des maîtres tessinois vont exercer leur talent en Italie. C'est ainsi que les frères Giovanni et Domenico Fontana et Carlo Maderno (1556-1629), leur neveu, achèveront la construction de Saint-Pierre de Rome, alors qu'un peu plus tard leur compatriote Borromini (1599-1667), suivant le même chemin, s'illustrera comme l'architecte le plus original de la Rome baroque. Transformation des éléments classiques qu'il emprunte à la Renaissance, le «style jésuite», importé d'Italie via l'Autriche et l'Allemagne, a laissé en Suisse deux beaux monuments: l'église de Lucerne bâtie de 1666 à 1678, et l'église des Jésuites de Soleure construite en 1679. Le baroque proprement dit trouve sa meilleure expression dans le majestueux ensemble de l'abbaye d'Einsiedeln, rebâti à partir de 1704 par Kaspar Moosbrugger, la cathédrale Saint-Ours de Soleure (fin XVIIIe siècle) et l'église conventuelle de Saint-Gall (1755-1767).
Les architectes du XIXe siècle, en Suisse comme presque partout ailleurs en Europe, imitent ou restaurent sans véritablement créer, et il faut attendre les réalisations, au XXe siècle, de Robert Maillart (1872-1940), Karl Moser (1860-1936), Hannes Meyer (1889-1954), Le Corbusier (1887-1965) et Max Bill (1908-1994) pour assister à un réveil architectural véritable. En sculpture, la Suisse, si l'on excepte le Genevois James Pradier (1792-1852), le Bernois Hermann Haller (1880-1950) et bien entendu Alberto Giacometti (1901-1966), n'a pas vu naître de grands créateurs.
Peinture
Il ne reste en Suisse que de rares témoignages de la peinture murale carolingienne, visibles dans les localités grisonnes de Naturns, Mals et Münster. La peinture romane est mieux représentée par les fresques de Chalières (Jura bernois), de Montcherand (canton de Vaud) ou de la cathédrale de Zurich, mais surtout par l'admirable plafond de la petite église Saint-Martin de Zillis (v. 1140, Via Mala, Grisons), dont les 153 panneaux de bois peint représentent une suite de scènes de la vie du Christ.
Avec l'art de Konrad Witz (v. 1400-v. 1445) la peinture helvétique nous offre l'un des tout premiers exemples de paysage réalisé en Occident (la Pêche miraculeuse, 1444, musée de Genève). L'influence de ce grand peintre s'exercera tout au long du XVe siècle sur la plupart des artistes qui comptent à cette époque; elle reste encore visible, à la fin du XVe siècle, dans les œuvres anonymes des «Maîtres à l'œillet» de Berne, Fribourg et Zurich. De fait, Witz annonce la transition que l'œuvre tourmentée du Fribourgeois Hans Fries (v. 1465-v. 1523) opère entre la peinture médiévale et celle de la Renaissance.
Les noms de trois grands «peintres-lansquenets» nés en Suisse incarnent, à une époque particulièrement troublée par de graves conflits politiques et religieux, les prestiges artistiques du XVIe siècle renaissant: Niklaus Manuel Deutsch (1484-1530), Urs Graf (v. 1485-1527), Hans Leu le Jeune (v. 1490-1531). Le Jugement de Pâris (Kunstmuseum, Bâle) et Pyrame et Thisbé, deux des compositions les plus raffinées de Manuel Deutsch, peintes à la détrempe vers 1523, montrent toutes les qualités de ce peintre beaucoup plus complet qu'Urs Graf (presque uniquement connu par ses gravures sur bois) et plus sensible que Hans Leu dont l'Orphée charmant les animaux (1519, Kunstmuseum, Bâle) est pourtant une œuvre d'où émane un vif sentiment poétique. Dans la mesure où la formation de Hans Holbein le Jeune remonte aux années qu'il passa à Bâle, son nom peut également être rattaché au patrimoine artistique de la Suisse, où une tradition holbeinienne du portrait s'est d'ailleurs créée; Hans Bock (1550-1624) en fut le meilleur représentant, à Bâle. L'art helvétique du XVIe siècle connut encore un grand peintre dans la personne du Schaffhousois Tobias Stimmer (1539-1584), remarquable illustrateur de la Bible et fresquiste célèbre de la maison dite du Cavalier à Schaffhouse.
Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la Suisse ne peut guère revendiquer que deux excellents portraitistes, le Genevois Jean Petitot (1607-1691) et Anton Graff (1736-1813), un très grand maître du pastel, Jean Étienne Liotard (1702-1789), un maître du paysage, Kaspar Wolf (1735-1798), et un peintre tout à fait inclassable, à la fois initiateur du romantisme et maître de l'art fantastique: Johann Heinrich Füssli (1741-1825).
La vie artistique helvétique, qui durant les XVe et XVIe siècles avait pour centre principal la Suisse alémanique, surgit à la fin du XVIIe siècle en Suisse romande, Genève s'étant substitué à Bâle. Le XIXe siècle consacre la prééminence de Genève, avec le caricaturiste Rodolphe Toepffer (1799-1846), le paysagiste romantique Alexandre Calame (1810-1864) et le paysagiste «naturaliste» Barthélemy Menn (1815-1893), auxquels nous préférons aujourd'hui la sourde violence du Bâlois Arnold Böcklin (1827-1901), son sens d'une «mise en scène» délirante (la Peste , 1898, inachevé, musée de Bâle).
Par la suite, viendront un grand dessinateur et illustrateur, Alexandre Steinlen (1859-1923), un paysagiste réputé, Ferdinand Hodler (1853-1918), un nabi de talent, Félix Vallotton (1865-1925), et l'un des plus grands peintres du XXe siècle: Paul Klee (1879-1940). Zurich est la ville où Tristan Tzara lança en 1916 le mouvement dada, mais les artistes suisses les plus actifs au sein des grands mouvements d'avant-garde, d'Alberto Giacometti à Jean Tinguely (né en 1925), ont souvent réalisé leurs œuvres à l'étranger.
Musique
Au Moyen Âge, les monastères répandent le chant grégorien. Aux XIVe et XVe siècles, la musique profane se développe. Au XVIe siècle, la Réforme la proscrit; le compositeur Ludwig Senfl (1486-1542 ou 1543) fait sa carrière à la cour d'Autriche. Ensuite, les influences allemande et italienne reviennent: de multiples chorales et des sociétés de musique voient le jour à partir de la fin du XVIIIe siècle. Que les cantons soient germanophones ou francophones, l'influence allemande est tantôt acceptée, tantôt combattue. Dans la première moitié du XXe siècle, les compositeurs Frank Martin, Willy Burkhard, et surtout le plus célèbre d'entre eux, Arthur Honegger, ont ouvert la voie à des musiciens qui, tels Rolf Liebermann et Heinrich Sutermeister, acquièrent une réputation mondiale. Depuis la Seconde Guerre mondiale, les musiques sérielle et électroacoustique ont en Suisse de nombreux représentants.
Les manifestations folkloriques populaires, avec leurs chœurs et leurs orchestres de musique des montagnes, sont multiples. Il n'est pas étonnant que la Suisse soit devenue un haut lieu des festivals musicaux (jazz à Montreux). Le pays possède un grand nombre d'orchestres philharmoniques et d'opéras, notamment à Bâle, à Zurich et à Genève, et le chef d'orchestre Ernest Ansermet a su, quant à lui, renouveler la philosophie de la musique.
Cinéma
Le premier cinéaste marquant est Leopold Lindtberg (la Dernière Chance, 1945), avec Leonhard Steckel, Franz Schnyder, Kurt Früh, Henri Brandt. Dans les années 1960-1970, une école suisse francophone a produit certains des plus beaux « films d'auteur » contemporains: Francis Reusser (Quatre d'entre elles, 1967), Alain Tanner (Charles mort ou vif, 1969; No Man's Land, 1985), Michel Soutter (la Lune avec les dents, 1966), Claude Goretta (l'Invitation, 1973), Patricia Moraz (Les Indiens sont encore loin, 1977; le Chemin perdu, 1980), Yves Yersin (les Petites Fugues, 1979), etc. D'origine suisse, Jean-Luc Godard a surtout tourné en France. La Suisse alémanique a aussi une école, dont le plus célèbre représentant est Daniel Schmid, né en 1941 (la Paloma, 1974).
Sciences et techniques
Pays rural mais à vocation industrielle dès le XIXe siècle, la Suisse a contribué au progrès des sciences et des techniques, surtout dans les secteurs de l'horlogerie et du textile. Faiblement dotée en ressources naturelles, la Suisse mise beaucoup sur son système éducatif. Avec quatre universités romandes (Genève, Lausanne, Fribourg et Neuchâtel), quatre universités alémaniques (Zurich, Bâle, Berne et Saint-Gall), deux universités fédérales, les écoles polytechniques de Zurich et de Lausanne, la Suisse possède l'une des meilleures couvertures universitaires. Très ouvertes, ces universités accueillent enseignants, chercheurs et étudiants étrangers. La Suisse a su de plus attirer de grands centres de recherche mondiaux, comme le Centre européen de recherche nucléaire (CERN) à Genève. Enfin, grâce à la présence de nombreux centres de recherche en microtechnologie (Jura), en chimie, dans le domaine de l'agroalimentaire et dans celui des industries métalliques, les Suisses ont déposé un grand nombre de brevets.
Société
Les origines urbaines du protestantisme et la prédominance rurale du catholicisme se retrouvent dans les résultats électoraux, malgré l'importance des entrecroisements linguistiques et religieux.
Religion
Le christianisme pénètre en Suisse avec la domination romaine. Au Moyen Âge, il se développe dans les zones de montagne, où les croyances animistes sont imprégnées par les démons et les sorcières, dont il faut se protéger lors de fêtes. Aux temps modernes, la Réforme s'est imposée dans les grandes villes (Genève, Berne, Zurich). Depuis lors, les Suisses se partagent entre catholiques (46,4 %) [1995] et protestants (39,8 %) [1995], les premiers étant organisés en six évêchés, les seconds se regroupant dans une fédération des Églises protestantes. Il y eut des périodes de tension, comme la Contre-Réforme, qui chassa le protestantisme du Tessin et du Valais, et le conflit du Sonderbund. Plusieurs référendums sur la séparation de l'Église et de l'État – dont le dernier a rejeté cette proposition en 1980 – se sont déroulés. Les relations entre les deux institutions sont gérées, au sein des 26 cantons, dans un contexte de paix confessionnelle. Les cantons de la Suisse centrale (de Bâle à Lucerne et jusqu'au Tessin) sont plutôt catholiques. En revanche, la Suisse occidentale, à l'exception de Fribourg, du Valais et de Genève, est traditionnellement à dominante protestante, même si l'immigration donne une légère prédominance aux catholiques. Quant à la Suisse orientale, elle est très variée sur le plan religieux.
Médias
La presse écrite gagne en richesse et en variété du fait des diversités linguistiques, politiques et religieuses. Les 97 quotidiens tirent à 3,8 millions d'exemplaires. Parmi les principaux des trois aires linguistiques du pays: Blick, Tages-Anzeiger, Neue Zurcher Zeitung pour la Suisse alémanique, 24 Heures, la Tribune de Genève, le Matin pour la Suisse romande, Corriere del Ticino, L'Altra notizia, La Regione pour la Suisse italienne. Avec les récentes concentrations effectuées dans le secteur de la presse, les imprimeries et les rédactions des rubriques internationales se sont regroupées. Lausanne supplante peu à peu Genève. Zurich prend quant à elle le pas sur les autres villes alémaniques. Toutefois, le caractère cantonal et local reste prédominant.
La presse audiovisuelle est diffusée dans les trois langues officielles. Pour sa part, Radio Suisse Internationale émet en neuf langues. Le financement fédéral des stations est réparti à 45 % pour la radio et télévision alémanique et romande, à 33 % pour la radio et télévision suisse romande et à 22 % pour la radio et télévision suisse italienne. Les importants subsides fédéraux sont complétés, depuis les années 1980, par les recettes publicitaires. Aux programmes des six studios radiophoniques nationaux (Zurich, Berne, Bâle, Genève, Lausanne, Lugano) et des quatre studios régionaux (Aarau, Coire, Lucerne, Saint-Gall) viennent s'ajouter ceux de toute une série de radios privées, soumises à autorisation. À la télévision, en plus des émissions produites à Genève, Zurich et Lugano, les Suisses peuvent recevoir, outre les chaînes câblées, les stations nationales des pays limitrophes.
Santé
Avec des dépenses égales à 8,6 % du PIB en 1993, la santé, organisée à l'échelon cantonal, constitue un secteur économique important, employant notamment 21 200 médecins. Outre les hôpitaux universitaires (Berne, Zurich, Bâle, Genève, Lausanne), un grand nombre d'établissements régionaux, de district et communaux offrent une bonne couverture médicale. Le caractère élitiste du secteur privé – il attire souvent des patients étrangers – ne nuit cependant pas à l'égalité des populations face aux soins: la répartition géographique du personnel et des infrastructures de santé permet une grande accessibilité. En 1995, suite à une votation fédérale, l'entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l'assurance maladie (LAMAL) a provoqué d'importantes modifications qui affectent le système de santé sur un plan à la fois social et territorial.
Les sports de montagne
La Suisse est un lieu propice à la pratique de l'alpinisme, du ski et des randonnées pédestres. Depuis plus d'un siècle, les alpinistes se sont attaqués aux principaux sommets. Le ski, véritable sport national, a été glorifié par une multitude de champions (Lise-Marie Morerod, Maria Walliser, Pirmin Zurbriggen, Vreni Schneider...). Des courses pédestres – dont Sierre-Zinal et Morat-Fribourg sont les plus renommées – sont en vogue, tout comme le parapente, devenu extrêmement populaire.